Je monte dans le taxi. L’homme a le teint net, une chevelure grise, fournie, et une petite moustache noire qui entoure sa lèvre.
Une musique classique se joue en fond. Sur le côté du chauffeur, quelques journaux, soigneusement pliés en 4 sur la section des mots fléchés.
Une citadine nous double et, nerveuse, essaie de zigzaguer entre les voitures.
⁃ Regarde-le, ce gamin, pressé! Pressé pour quoi? Aller boire un café? Tu parles! Pas pour travailler, en tout cas. Une voiture achetée à crédit, des lunettes en discount, de la frime à revendre, et si tu lui demandes ce qu’il a en poche, tu y trouveras pas 20 dh. Pressé! Pressé comme un citron, oui!
⁃ Les jeunes commencent leur vie à crédit, et ils croient être arrivés, avant même que d’avoir commencé. Voiture, lunettes, montre, et le tour est joué. L’image est sauve, peu importe ce qu’on y cache à l’intérieur. Le jeune, il y croit, il finit par y croire, et voilà comment ces jeunes se font piéger. Alors qu’ils ne sont même pas encore debout, solides, sur leur pattes. Puis ensuite, peu à peu, c’est la maison, les vacances, le mariage, l’école, le mouton, l’Hajj… tout devient à crédit. Eh oui, ils son pris dans l’engrenage! Ce qu’ils ne savent pas à ce moment, c’est que plus jamais, ils ne dormiront PAISIBLEMENT, sur leur deux oreilles. Ce qu’ils ne savent pas non plus, c’est que le temps va s’accélérer et les aiguilles vont tourner au rythme des échéances à payer et des traites à réunir. Qu’il sera enchaîné à son travail, stable, à sa routine, parce que son salaire, c’est pour son crédit. Des semaines de misères pour quelques jours de jouissance immédiate.
Le crédit est une vicissitude. Il a vicié tous les aspects de la civilisation: l’état, l’économie, la nature, les hommes, les sociétés, les foyers, les modes de pensées. Et il s’est normalisé.
Quel est le taux d’endettement des ménages dans notre pays?
Moi je crois qu’il y a une malédiction secrète autour du crédit. Tous ceux que je connais autour de moi se sont enchainés, peu à peu, au crédit et je les au vus couler, sans même le réaliser, et si c’est pas eux, c’est sur leurs gosses que la malédiction s’est abattue. Mes voisins, mes amis, ma famille… tous enchainés, tous malades… Tiens, mon chauffeur de taxi, il avait une vie tranquille. Un jour, en dépit de mes mise en garde, il a souscrit un crédit pour rembourser des dettes, puis ensuite, pour rembourser les dettes des dettes. Bref. A partir de là, tout a commencé à foirer dans sa vie: une partie de sa maison a brulé, sa femme est tombée gravement malade, un cancer, lui, peu après, le diabète… Les misères après les misères…
C’est un engrenage. Un peu comme le casino, tu as l’illusion de gagner mais tout est fait pour que tu sois perdant.
On a remis nos vies, notre dignité, notre intégrité entre les mains des banques et des affairistes. C’est pourtant, volontairement, égoïstement, qu’on a mis notre liberté à crédit. Et notre bonheur.
Je me dis parfois: imagine les intérêts qu’on paie sur X années contre une somme empruntée à la banque: plusieurs dizaines ou centaines de milliers de dirham. ça c’est ce le prix « monétaire « à payer pour jouir maintenant, immédiatement, d’un bien ou d’un service dont on aurait pas pu avoir jouissance avant x temps. Essaie à présent de convertir ce que tu rembourses en intérêts toutes ces années, en ce que tu rembourses en émotions. Dis toi que chaque intérêt que tu paies par exemple, c’est un noeud dans ton dos. Fais maintenant le calcul. Multiplie ça par le nombre de jours ou de nuits à penser à cela. Tu m’étonnes, que notre société soit malade!
Quelle misère, quelle misère de vie!
C’est une malédiction et c’est la cause de bien des maux de notre civilisation: la civilisation à crédit. Même la nature, les ressources, l’eau… c’est à crédit. Et les intérêts… Advienne que pourra!
C’est devenu le moteur de notre société, de notre économie, de notre mode de pensée! Les hommes sont soumis aux crédits empruntés aux banques, les banques à la banque du pays, la banque du pays à l’état, l’état, à la banque mondiale, au FMI et autres organisations aliénantes et avilissantes… pendant que les grosses entreprises font le bal. Bref. Ni un homme, ni un gouvernement, ni un état ne peut dormir sur ses 2 oreilles, quand il a des traites au cul.
C’est le pire instrument d’asservissement de la liberté, le crédit, vois-tu. Et c’est sur ça, que repose la civilisation dite moderne, contemporaine, industrielle, ou que sais-je. La révolution, c’est pas les machines à vapeur et blablabla, c’est le crédit. Notre civilisation est née avec la naissance des banques, et elle est fondée sur le crédit. Tu réalises, petite, notre civilisation est FONDEE sur le crédit. Notre civilisation vit à crédit.
Fondée sur l’illusion. Celle qu’on a ce qu’on a pas.
Qu’on peut jouir maintenant de ce quon a pas encore.
Mais on se fourvoie complètement. Et on fourvoie nos jeunes! On a troqué notre dignité contre la facilité.
Et quand on n’a plus de dignité, ni de liberté… que reste-t-il?
Les cancers, les maladies, les insomnies, les dépressions… beaucoup de ces maux, selon moi, viennent du crédit. Une malédiction!
Ah! on est arrivés! Passe une belle journée fillette, et je te souhaite de dormir PAISIBLEMENT tous les jours de ta vie.