Le Trésor des Oudayas

Une chasse au trésor et par récits entrecroisés, deux enfants racontent leurs aventures trépidantes dans la cité pirate…

Chapitre 1: La Cité Pirate

 

– En avant matelots! Parez à virer, hissez le Pavillon! Hissez-ho! Pas de quartiers pour les gredins, ils seront tranchés et pillés! Plus vite moussaillon! Hé quoi, t’es marin d’eau douce, Morbleu! Hissez-ho!

 

La voix redoutable du capitaine rugit en mer, féroce, pendant que les pirates hystériques hissent les voiles en affûtant leurs sabres, parés à l’abordage. Le malheureux chalutier sait l’assaut imminent, alors il se tient prêt à saborder, pour éviter la course perdue d’avance et le massacre qui suivra.

 

– À l’abordage!

 

Le cri de guerre gronde par-dessus les flots, rageur et sanglant, et moi je suis parcouru d’un frisson d’effroi.

 

J’y suis enfin. La Kasbah des Oudayas.

 

Tout frémissant, j’imagine corsaires et forbans rentrer braillards de leurs expéditions, les rafiots pleins de leurs rapines qu’ils échangent volontiers contre de la bonne chair et des tords-boyaux. Tour à tour rigolards, grondeurs et querelleurs, ils déambulent dans les ruelles agitées de la cité, chantant et rotant, hélés par les commerçants et racolés par les filles de joie. Le jour, la cité prospère grouille de monde et de commerces en tout genre: or, esclaves, captifs, tissus, laines, femmes…  La nuit, les ombres furtives ou titubantes se dessinent sur la façade des tavernes et des bordels, tandis que les murs font résonner les plaintes sourdes des esclaves et les hurlements glaçants des suppliciés.

 

 

Ici Salé-El-Bali, là-bas Salé-El-Jadid. Mon regard continue de se perdre au loin, songeur.

 

La Kasbah des Oudayas.

 

C’est au cours d’une sortie organisée par le collège que j’ai fait cette découverte. Aussitôt, j’ai été bouleversé par les remparts crénelés qui emmurent cette cité hors du temps et dont les murs suintent encore l’Histoire et la Légende. La citadelle m’a tellement fasciné que j’y suis retourné aujourd’hui encore, après la classe; longtemps je me suis perdu dans le serpentin de ses ruelles étroites, bordées de maisons aux couleurs bigarrées  et aux murs peints à la chaux bleue et blanche, pour rêver tout mon soûl d’aventures extraordinaires.

 

Je suis maintenant allongé sur le toit d’une maison, rêvassant encore de course et de pillage, quand tout à coup, des éclats de voix me tirent de mes pensées et me ramènent au présent. Intrigué, je me penche puis allonge le cou, seulement d’ici, je ne peux apercevoir que deux ombres – deux hommes semble-t-il – qui s’étirent, rétrécissent, se heurtent et s’épousent sur le mur dentelé.

 

– Bon sang! Comment, comment?! Si j’attrape le salaud qui a fait ça, je l’éventre, tu entends, je le décapite! Après l’avoir torturé de mes mains!

J’avais enfin la clé, des années que je réunis les indices, que je déchiffre les énigmes, et voilà qu’elle me file sous le nez! Entre tes doigts! Triple-idiot! Tu dois la retrouver, tu entends!

 

Je me tapis sous un tas de vieux linge qui traînait là, mortifié à l’idée qu’ils se doutent de ma présence.

 

– Tu te rappelles au moins ce qui était inscrit, imbécile?

 

Une silhouette, plus petite et qui n’avait pipé mot jusque-là, marque un geste de recul, l’air craintif et suppliant, avant de souffler d’une voix mal-assurée:

 

– Je me souviens seulement de bribes:   » Mourad » « L’ombre apparaîtra » à 16h » « enfoui dans la cité pirate »

Je suis sûr qu’elle est encore entre ces murs.

 

– Bon à rien, qu’est-ce que tu veux qu’on fasse avec ça?! Des bribes, tu parles! Il faut la récupérer, il nous faut avoir toute l’énigme! Il nous faut ce trésor!

Soudain, un craquement se fait entendre et les deux silhouettes sursautent, puis se taisent. Je me penche de nouveau, mais leurs ombres ont maintenant disparu.

Étrange conversation! Les questions se bousculent dans ma tête, et le mot trésor cogne mes tempes. Quel trésor? Qui est Mourad? Y aurait-il une légende? Mon excitation est à son comble.

 

Je repense au guide que j’ai rencontré plus tôt alors qu’il conduisait un groupe de touristes: il a l’air de connaître un paquet d’histoires sur la Kasbah!

 

Je ne sais pas vraiment ce qui m’a poussé à faire ça, moi qui ne connaissais d’aventures que celles que je vivais dans les romans, mais je décide à cet instant d’aller à la recherche de ce guide et de l’interroger sur les légendes de la cité pirate.

 

Je croise en chemin un joueur de Guembri, qui gratifie mon passage d’un large sourire et d’une joyeuse note de musique.

 

 

Il est 14h.

Chapitre 2: Dent D’Or

 

 

Je bâille bruyamment, et m’étire avec nonchalance.  Je finis par décoller mes paupières encore lourdes. Quelle heure est-il?

Au fait, quelle importance, maintenant. Ici.

Voilà trois jours que je dors dans cette maison, sur ce grand lit. À qui appartient-elle? Je ne sais pas, mais ah ça! quelle aubaine!

Je me lève paresseusement et j’ouvre la fenêtre. Je fronce les sourcils sous les rayons du soleil qui inondent les murs blancs d’une lumière aveuglante, radoucie seulement par les nuances de bleu qui s’en détachent.

Trois jours déjà. Trois jours que je suis libre, que je n’appartiens plus à personne qu’à moi-même; trois jours que ma maîtresse m’a tendu ma solde, une baraka, un sourire désolé et quelques conseils avisés avant de me laisser à la gare routière.

 

À cet instant, j’aurais voulu lui dire qu’elle était ma seule famille. Que je n’avais pas idée de ce que j’allais devenir, dehors. Que je ne connaissais même pas dehors. J’aurais voulu lui lire qu’elle ne pouvait pas m’abandonner comme ça.

 

Mais je n’ai rien dit. Ma vie dans un balluchon, j’ai quitté la gare et j’ai marché sans but dans les rues de la ville, les jambes portées tour à tour par l’allégresse d’une liberté nouvelle, et l’angoisse de tous ces inconnus.

 

Après une longue marche, les chevilles gonflées, étourdie par une chaleur de plomb, mon regard s’est arrêté sur une étrange bâtisse, on aurait dit une forteresse. J’ai longé ses grandes murailles, pour arriver à une porte si imposante, et belle! – qu’on aurait cru la porte d’une cité ancienne. Elle était grand-ouvert, alors je ne sais pas pourquoi, je suis rentrée.

 

C’est là que j’ai réalisé que je pénétrais dans l’enceinte de la Kasbah des Oudayas.  Eh bien? Je ne suis pas complètement ignorante, j’ai même reçu un peu d’instruction: ma maîtresse m’autorisait à assister aux cours particuliers de ses enfants, alors moi, j’ai des notions, par-ci par-là.

 

J’ai erré dans les ruelles un moment, sans rien y comprendre. Quel labyrinthe!

 

Au détour d’une allée étroite, une arcade s’ouvrait sur un passage contigu. Un peu plus bas, isolée, une maison: j’ai poussé la porte d’entrée, elle a grincé puis, à ma grande surprise, a cédé sous mes doigts. Mi-intriguée, mi-effrayée, je me suis empressée d’entrer et de la refermer. Vite, j’ai inspecté la maison pour m’assurer qu’il n’y avait personne.

Rassurée, je n’ai pas tardé à prendre mes aises: j’ai cuisiné, dépoussiéré, chantonné, épousseté, siffloté. Pour la première fois dans ma vie, j’accomplissais ces tâches pour moi. Pour mon bon plaisir. J’ai même pris un bain.

 

Une chose étrange, cependant. Dans toute la maison règne un grand désordre: statues, tableaux, sculptures, livres, couvertures, vases, cartes, portraits et objets hétéroclites forment des tas par endroits. Des papiers jaunis tapissent le sol, des figurines de pirates jonchent les tables, des miniatures de navires envahissent le salon. On aurait dit que les propriétaires avaient quitté la maison précipitamment, alors qu’ils s’apprêtaient à faire leurs cartons. Oui, vraiment étrange!

 

Bref. Je m’habille et descends à la cuisine. Aïe! mon pied bute contre un coffret,  et je manque de trébucher sur un filet de pêche!

Décidément, cette maison me fiche la chair de poule: certains objets m’épouvantent presque. Comme ce portrait aux dimensions gigantesques qui trône au milieu de la maison. L’ homme se tient droit, la  stature fière et hautaine, le sourire narquois et conquérant, la tête enroulée d’un turban et les jambes d’un ample seroual  où sont accrochés coutelas, sabres et épées en tous genres. Il lui manque un oeil, mais celui qui reste vous transperce de son éclat vif et féroce. Une profonde balafre marque sa joue jusqu’au torse.

 

 

Soudain je sursaute. Des voix proches! Qui cela peut être? Terrifiée, je me dissimule derrière une porte.

 

J’aperçois sur la terrasse deux silhouettes: l’une semble très grande, l’autre plus tassée, légèrement voûtée. Cependant je ne distingue aucun visage, seulement l’éclat brusque et scintillant d’une dent en or. Je me baisse alors pour mieux deviner leurs traits, mais zut! Un craquement! J’ai écrasé une miniature taillée en bois! Mon coeur s’arrête de battre, tandis que je me fige, le souffle court. Je risque un coup d’oeil: les ombres se sont évanouies. Encore sous le choc de cette rencontre, et craignant que les deux hommes ne reviennent sur leurs pas, je sors à pas de loup d’abord, je regarde à droite, à gauche, fais quelques mètres, calmement, dignement, avant de fuir à toutes jambes.

 

Pendant ma course, à quelques mètres de la maison, je renverse un garçon – mon âge? – qui marchait l’air pensif. Enfin, pour éviter de me faire remarquer, je ralentis, puis croise un joueur de Guembri, qui me lance un grand sourire, suivi d’une joyeuse note de musique.

 

Je fais encore quelques pas et me faufile au milieu d’un groupe de touristes étrangers, qui semble suivre une voix, l’air fasciné.

Un guide se tient au milieu de la place et son audience est en haleine.

 

Ainsi, Il raconte:

 

– Connaissez-vous les périples de cet infatigable voyageur, qui fit halte par deux fois à Salé alors qu’il entamait son septième et avant dernier voyage? Oui, celui-là même, Mesdames et Messieurs! Tour à tour jeté par le vent sur la côte africaine, attaqué par des pirates indiens, sous le coup d’une fortune ou d’une disgrâce, l’aventurier, que dis-je! l’explorateur, allait à la rencontre du monde à pied, en navire, à dos de chameau, enfin, ce qui se présentait! Il parcourut ainsi le monde comme nul ne l’avait fait avant lui: car jamais, jamais avant lui on n’était allé seul, si loin!  Trente ans de voyages, et 120 000 km parcourus mesdames et messieurs! Un voyageur sans bagages, portant seulement  le récit de ses voyages, sa raison d’être! »

 

Un silence. Quelques touristes tendent des billets.

 

– Ibn Batûta, mes chers amis. Le grand Ibn Batûta!

 

Il poursuit.

– Faisons un saut dans le temps, si vous le voulez bien. Maintenant, Mesdames et Messieurs, les redoutables corsaires salétins…

Il marque un arrêt théâtral puis reprend:

– Savez-vous que le navire de Robinson Crusoe fut attaqué par des pirates salétins? Il fut capturé puis fait l’esclave d’un Maure durant deux ans! Ha-Ha! Les redoutables Raïs!

Un silence craintif et rêveur court l’assistance.

Mais il dure, alors les touristes lui tendent de nouveau des billets.

 

Soudain, le garçon que j’avais bousculé plus tôt interrompt le silence, et demande avec impatience:

– Y a-t-il une légende? Mourad. Qui est Mourad?

 

Subitement, le guide change d’expression et nous jette un curieux regard. Puis il sourit dans un rictus.

 

Mais déjà je n’écoute plus. J’ai faim. Quelle heure est-il?

 

Chapitre 3: Lalla Qarsana

 

 

Nous sommes groupés autour du guide; nous nous pressons les uns contre les autres, impatients d’écouter ses récits.

Lui, prend son temps, oubliant jusque notre présence. Les sourcils froncés, il tient par l’anse une théière qu’il ébouillante au-dessus d’un tas de petits charbons ardents, puis ajoute des feuilles de menthe, et quelques cubes de sucres. Il verse ensuite la décoction de la théière au verre, puis du verre à la théière et ainsi de suite: une fois le mélange à son goût, il la soulève bien haut, et emplit son verre en faisant crépiter la mousse. Lentement, cérémonieusement, il porte le breuvage fumant au bout des lèvres et sirote une gorgée dans un bruit de succion. Aussitôt ses traits se détendent, et ses yeux recouvrent leur éclat vif et malicieux.

Enfin, il commence.

 

« Une histoire incroyable que je vais vous raconter, Mesdames et Messieurs! Incroyable! Par ici! Écoutez donc! L’histoire – ou la légende?- d’une intrépide pirate salétine! »

 

Il lance, dans un cri presque:

 

« L’histoire de Lalla Qarsana! »

 

Le guide marque un silence théâtral, et en profite pour siffler une gorgée de thé encore fumant.

 

« Aujourd’hui encore, l’écumeuse demeure un mystère. Qui était-elle? Peu en savent. On raconte qu’elle mena une impitoyable guérilla navale, et ses razzias en haute-mer firent d’elle une des plus célèbres et des plus hardies contrebandières de l’Entre-Deux-Rives. »

 

Il poursuit sur le ton de la confidence cette fois:

 

« Elle avait neuf ans lorsqu’elle fut capturée par des corsaires salétins, puis vendue contre quelques pièces à un cruel capitaine maure: le capitaine du légendaire chebec  » Le Qarsana* »!

 

Élevée auprès de ce dernier, elle grandit dans un monde de pirates et de jurons, de beuveries et de bagarres, de pillages et de meurtres. Car le navire, à l’image de la cité pirate, était babel de quelque hornacheros, moriscos, renégats, brigands, scélérats, fuyards et autres exilés.

 

Ah que son enfance fut rude, dit-on! Mais très vite, elle se distingua par un talent certain pour la navigation, l’abordage et le pillage, jusqu’à se hisser au rang de second du capitaine, en dépit de son jeune âge et de son sexe. C’est que les pirates avaient fini par respecter la donzelle, qui faisait montre d’une force et d’une témérité qui lui valurent, dès sa quinzième année, le surnom de  « Lalla Qarsana ». »

 

Son regard parcourt la foule, se délectant des ondes de fascination et d’effroi qui courent dans ses yeux. Il prend de nouveau une gorgée de thé.

 

« Une nuit, alors qu’on ne distinguait plus l’océan des cieux qui grondaient en choeur leur colère, une frégate française s’avançait avec audace en direction du Qarsana. Était-ce une de ces expéditions punitives contre les barbaresques? Fort probable! »

 

« Ah quelle nuit! Les nuages épais étaient si bas qu’ils frôlaient la cime des flots, tandis que de plus en plus, vent et pluie se déchainaient et tourbillonnaient dans un effroyable spectacle de chaos.

On raconte qu’un marin français réussit à bondir sur la poupe du Qarsana, et abattit le capitaine d’un coup de mousquet, avant qu’une violente rafale ne le fît échouer dans l’embarcation. Ah le malheureux! Lalla Qarsana, enturbanée qu’on l’eut prise pour un homme, dégaina aussitôt son sabre, et d’un geste vif et assuré, lui trancha la gorge.

Mesdames et Messieurs! Quel chaos s’ensuivit! L’entendez-vous? L’imaginez-vous? Car maintenant grondent les canons, gicle le sang, roulent les têtes,  rugit la mer, hurlent les noyés, tombent les corps, vrombit le tonnerre, éblouit l’éclair! Quel vertige! »

 

« Le Qarsana ne dut son salut qu’à une déferlante qui éloigna le navire de guerre, empêchant ainsi l’abordage imminent. Puis tout à coup, une scélérate surgit brusquement, prit l’ennemi dans son tourbillon, et le fit disparaître dans sa gueule houleuse et écumeuse. L’entendez-vous Mesdames et Messieurs? Tendez donc l’oreille! Oui! L’écho des craquements d’un navire qui se brise! l’écho des cris d’agonie et de terreur!

 

Silence à présent! Silence, écoutez le silence de la mer. Écoutez cette seconde sentencieuse et morbide qui fige, l’espace d’un instant, une éternité, l’océan agité: car le revoilà, l’ennemi, la vague recrache le navire fendu et le porte à la cime, avant de l’engloutir définitivement dans ses abîmes. C’est fini, La frégate a disparu. »

 

 

 » Mais pour le Qarsana, ce n’était pas fini. Les éclairs fendaient le ciel toujours, et les vagues continuaient de se briser contre le navire, et aussitôt ravalées, elles rejaillissaient, plus rageuses encore, plus véhémentes encore.  Habituée depuis son enfance à lutter avec le danger, Lalla Qarsana saisit l’aviron et ordonna aux quelques survivants de ramer: Le Qarsana retrouva enfin son équilibre et se laissa flotter sur la mer qui recouvrait peu à peu son calme.

 

Enfin! Ils étaient sauvés! Le capitaine mort, elle prit le commandement du Qarsana et sortit ses hommes du coupe-jarret. Elle décida de faire cap vers la Kasbah des Oudayas »

 

Le guide s’arrête quelques secondes, essoufflé, le front en sueur.

 

« Le Qarsana mouilla aux Oudayas quelques jours, car il fallait maintenant le reconstruire, racheter poudres et canons, recoudre les voiles et reconstituer l’équipage.

Elle recruta une quarantaine d’hommes, brigands, fugitifs, ivrognes, difformes et autres marginaux, ceux-là mêmes dont personne ne voulait sur terre, une bande de rustres solide et dévouée. Ensemble et pendant un demi-siècle, ils semèrent la terreur en haute-mer,  pillant les cargos anglais, hollandais, espagnols et français, amassant ainsi des trésors inestimables.

 

 

« Ah tous ces trésors! Et dire que certains ne furent jamais découverts… » Soupire-il d’un air pensif.

 

 

Le guide se tait un moment, rêveur, puis son regard croise le mien, et soudain, l’air de s’éveiller brusquement, il s’exclame:

 

 » Mourad! Ah oui, Mourad! »

 

La foule. L’excitation est à son faîte.

Moi. Je le regarde, suppliant.

 

« On raconte qu’un jour, une bataille sanglante éclata en mer Méditerranée,  oui, et ce jour-là, Lalla Qarsana croisa le chemin du Capitaine John! »

 

Pourquoi parle-t-il du Capitaine John, qui est le Capitaine John?

 

 » Mesdames et messieurs, chers amis, nous allons maintenant faire une pause et vous avez quartier libre pour une heure. Je vous retrouverai donc ici pour continuer notre récit. »

 

La foule se disperse, et quitte la place, par grappes, en commentant le récit que l’homme venait de nous conter.

 

Moi je reste là, dévoré d’impatience et d’excitation. Je suis des yeux le guide qui termine son verre de thé en prenant une allée étroite. Où va-t-il?

 

Tout à coup, des pas précipités… des cris étouffés… un bruit de verre brisé… Je lève les yeux: j’aperçois deux hommes tirer brutalement le guide par la chemise et le bousculer devant une petite maison. Une porte claque, je tressaillis.

Je suis pétrifié. Un main m’agrippe l’épaule… je bondis! C’est la jeune fille que j’ai croisée plus tôt, elle me demande terrifiée:

 

« Tu crois qu’ils l’ont enlevé? dis, tu crois? »

* Qarsana = piraterie

 

 

Chapitre 4: Le joueur de Guembri

 

 

Le soleil ruisselle entre les allées étroites empruntées par des touristes et des promeneurs qui commentent encore les épopées de Lalla Qarsana.

– Dis, tu crois qu’ils l’ont enlevé, dis?

Je lève sur lui mes yeux stupéfaits, et sans même réaliser ce que je fais, je le tire par la manche, animée par un soudain état d’urgence.

Je l’entraîne en courant vers une allée qui traverse la place et on se réfugie quelques mètres plus loin, devant une porte en bois verni. On s’assoit en contrebas d’un petit escalier, à l’ombre. D’ici, on peut voir sans être vus.

Il chuchote.

– Je les ai vus pousser le guide dans la maison, là-bas.

Il la désigne du doigt: une maison basse, grossièrement peinte à la chaux bleue et blanche et coquêtement ornée de pots de géraniums, suspendus de chaque côté des murs dentelés. Qui pourrait penser qu’on détient là un homme!

 

Dans ma tête, les images défilent. Toutes ces péripéties depuis hier!  Cette liberté nouvelle, les errements dans la ville, la maison de bric et de broc, les légendes du guide, et maintenant l’enlèvement.

Lui aussi, dans ses yeux pétille l’excitation. Il commente:

– Ils sont en train de sortir de la maison, l’un des deux ferme la porte avec une grosse clé. Attention, ils arrivent vers nous!

J’entends leurs pas… ils sont là… tout près…Je retiens mon souffle.

Je lève furtivement les yeux, mais avec tout ce soleil, je n’y vois rien. À peine ai-je le temps de remarquer une lueur scintiller dans la bouche du plus grand.

Je frissonne. C’est l’homme à la dent en or, l’homme qui se disputait tout à l’heure!

La coïncidence me laisse perplexe, et un malaise, comme un souffle pesant, plombe mon corps. Les deux silhouettes finissent par disparaitre au détour de l’allée.

– Comment tu t’appelles?

Tiens, c’est vrai. Tout s’est passé si vite qu’on n’a pas eu le temps de faire les présentations.

– Hanane.

Un sourire gêné. Me voilà avec un inconnu, espionnant deux voyous qui viennent de kidnapper un guide. C’est peu fou, non?

Au fait lui s’appelle Omar.

– Tu as pu voir leur visage?

– Non, le soleil m’aveuglait!

– Mince! Bon, espérons qu’ils ne reviennent pas maintenant. On va jeter un oeil dans la maison? Tu viens?

– Oui!

Mais d’où me viennent ces mots, d’où me viennent ces ailes?

 

On court donc jusqu’à la maison où est détenu le guide. Quelle déception! La porte est soigneusement cadenassée et les deux petites fenêtres solidement entourées de barreaux en fer forgé.

Tandis que j’inspecte la porte et les murs, à la recherche d’une issue, j’entends un gémissement. Je l’entends de plus en plus fort maintenant. Puis un objet heurter violemment du verre.

Ça vient par là! Omar aussi a entendu, et dans un mouvement, on lève la tête vers l’étage.

– Je crois que tu peux atteindre la fenêtre si tu montes sur mon dos. Viens, je peux te porter, tu es plus légère!

Je grimpe sur ses épaules et une fois à peu près stable, je m’ajuste à hauteur de la fenêtre et je m’accroche aux barreaux, pour tenir l’équilibre. Une silhouette recroquevillée se dessine dans la pénombre d’une pièce exigüe, bâillonnée et les mains liées derrière le dos. Le guide, en me voyant perchée sur les barreaux, me lance un regard surpris d’abord, puis soulagé.

Attention! Je perds l’équilibre, je tangue un moment sur le dos de Omar, qui finit par plier sous mon poids. Je m’écroule sur le côté.

– Tu t’es fait mal?

– Non, non.

Si. Mais j’ai ravalé ma salive et ma douleur, puis tenté de nouveau l’expérience. Le guide s’est rapproché de la fenêtre et quelques secondes, je suis surprise par ce qu’il fait. Il essaie de me dire quelque chose mais le bâillon étouffe ses mots et les mue en geignements plaintifs. Ses yeux rougis sortent de leur orbite tellement il s’époumone avec force. Je réussis à distinguer entre ses petits cris étouffés:

– Prévenez le joueur de guembri.

Je me retourne précipitamment, prise par un curieux pressentiment.

 

Mais non, ce n’est qu’un chat.

Cette fois, je retombe sur mes pieds. Je raconte la scène à Omar.

– Le joueur de Guembri? J’en ai croisé un tout à l’heure…

– Oui moi aussi! Seulement, je serais bien incapable de savoir où, dans ce labyrinthe…

Mais, vite! il faut se mettre à l’abri. On avance à pas pressés, et on demande où l’on peut trouver le joueur de guembri.

– Ah le Mâalem! Vous le trouverez soit à côté du jardin, soit chez lui. Essayez chez lui à cette heure-ci.

L’homme nous indique le chemin; encore une fois, on marche, on court, tournant ici à droite, puis à gauche, encore là à droite.  On traverse enfin un passage étroit et lumineux, et on finit par s’arrêter devant une petite maison rongée par l’humidité.

On frappe, mais personne ne répond. On pousse alors timidement la porte qui grince des gonds, et on entre.

On pénètre dans une pièce sombre et enfumée, imprégnée  d’une forte odeur de tabac et d’encens.

Dans la faible lueur se découvrent les traits d’un homme très brun et très ridé, certainement très vieux; ses cheveux gris sont surmontés d’une coiffe aux couleurs vives. Son regard est empreint d’une sagesse rieuse. Il tient à la main un guembri, instrument curieux, rustique, et pourtant mélodieux; il pince les trois cordes en boyau tout en tapant avec les doigts sur la caisse tendue en peau de chèvre.

Autour de lui quelques touristes sont assis sur un tapis, l’air absorbé par sa voix chantante. Plus loin là bas, trois hommes en tunique rouge, l’air lascif et absent, sont allongés parterre, le dos calé par des petits coussins, la tête rejetée contre le mur. À leurs pieds posés pêle-mêle divers instruments. J’entends résonner depuis la pièce à côté le tintement des qraquebs et le bourdonnement du bendir qui rythment un chant mélodieux, quoique irrégulier et surprenant, ce qui ajoute à l’ambiance mystique qui règne dans la demeure.

Le joueur de guembri nous fait un sourire et nous invite  à entrer du regard.

On est de plus en plus embarrassés. Au fond, tout ceci a l’air un peu fou, que va-t-on bien lui dire?

 

Il raconte, la voix rythmée par des notes mi-chanteuses, mi- conteuses:

– Mes ancêtres esclaves ont fondé la casbah des gnaouas, sur la rive droite du fleuve; ils étaient membres de la garde noire, autrefois. Vers le début du 18è siècle, Lalla Qarsana, la légendaire pirate, terrible contrebandière, disparut en mer, et avec elle le secret de ses nombreuses cachettes. Certaines furent découvertes, d’autres demeurèrent un mystère. On rapporte qu’elle confia au Mâalem

Soudani une carte, et défia quiconque d’en déchiffrer l’énigme. Rien ne la divertissait tant que les jeux de piste, alors elle sema ici et là des messages et des indices pour les aventuriers. On rapporte aussi que cette casbah de 7000m2 n’avait qu’une issue, un accès unique sur le monde, gardée par six bastions. Certains pensent que l’un des trésors serait encore caché dans la casbah des gnaouas…

 

Décidément, aux Oudayas, tout le monde n’a que Lalla Qarsana et ses trésors à la bouche.

 

Il me glisse tout bas:

– On ne perd rien à essayer. Le guide a sans doute voulu prévenir un ami. Sinon tant pis, on aura l’air de deux dingues.

Omar s’approche du joueur de guembri, l’air déterminé et se fraie un passage entre les touristes. Il lui chuchote quelques mots dans l’oreille.

L’homme fronce les sourcils, soucieux et se relève brusquement.

Il s’excuse quelques minutes auprès de son assistance et nous demande de le suivre.

 

Avec Omar, on se regarde. On hésite un peu. Mais déjà, le Mâalem nous pousse au-devant de lui.

On arrive dans une autre pièce et il nous demande de l’attendre un instant. Puis subitement, il nous tourne le dos et disparaît dans une petite trappe camouflée sous un tapis.

On reste là, silencieux, n’osant bouger, et ne sachant quoi faire, ni penser. J’entends dans la pièce à côté le tintement de qraquebs, leur rythme régulier, et sans même le réaliser, mon buste suit un mouvement d’avant en arrière, presque inconscient, presque incontrôlable.

Combien de temps sommes-nous restés là, pensifs, bercés par ces notes envoûtantes? .

Enfin, le vieil homme est de retour. Il tient à la main un objet qui semble très, très ancien, une épaisse toile jaunie, poussiéreuse, enroulée comme un parchemin.

Une harmonie mystique m’habite, ranimée à chaque mesure par les qraqebs qui continuent de faire tinter leurs notes inlassables, entêtantes, obsédantes.

Omar chuchote, comme par crainte de briser un charme.

– Qu’est-ce que c’est?

La tension est pesante, palpable.

Le joueur de guembri prend un air grave:

– Les hommes qui courent après le guide courent aussi après cette toile. Je vais vous demander de la mettre très soigneusement à l’abri. Mets-là dans ton cartable, personne ne se doutera de rien!

Sans attendre sa réponse, le joueur de guembri calle la toile au fond de son cartable et nous repousse avec les mains vers la sortie.

– Et maintenant filez, je saurai vous retrouver!

Qu’est-ce qu’il y a dans cette toile? Pourquoi a-t-on enlevé le guide? Et cet homme, à la dent en or, c’est qui? Les questions se bousculent, mais le mystère demeure entier.

Devant notre stupeur qui nous laisse immobiles, il nous donne à chacun un coup sur l’épaule.

– Allez filez avant qu’ils n’arrivent…

Il ouvre une autre porte, dissimulée derrière une grosse tenture en laine. Décidément, toutes ces ruelles enlacées, ces passages secrets, ces portes colorées, moi j’ai le vertige…

 

Chapitre 5: Mourad Raïs

 

Je suis plongé dans une douce transe, à la gorge un sentiment d’urgence. Qu’y a-t-il dans cette toile? Je brûle de la dérouler, et je vois briller dans les yeux de Hanane la même lueur.

Nous avançons le pas rapide, cherchant un endroit pour s’assoir à l’abri des regards. Après avoir sillonné une dizaine de ruelles, enfin, on aperçoit un jardin. Qu’il est joli! Un style andalou fleuri de lauriers-roses, d’orangers, de citronniers… C’est parfait! On s’assoit, dissimulés derrière un oranger.

 

Je tressaille en sortant la toile du cartable. Un puissant remugle me prend à la gorge. Je la déroule doucement, avec précaution.

Soudain, plusieurs feuillets s’en échappent et s’éparpillent sur l’herbe. En les ramassant, je remarque qu’ils sont cousus ensemble, protégés par une couverture en peau d’animal. Sur les feuillets, je distingue des mots tracés à l’encre noir.

On reste comme ça quelques secondes, étourdis par ces poussières d’antan, fascinés par cette précieuse découverte.

 

– Tu penses que le joueur de guembri a réussi à libérer le guide?

– J’espère! Attendons-les ici. Pendant ce temps, je vais essayer de déchiffrer ce qu’il y a écrit. On dirait les pages d’un très vieux livre…

– Tu crois que c’est ça qu’ils recherchaient, les deux hommes?

Je frissonne, partagé entre un sentiment de danger et une curiosité dévorante. Le joueur de Guembri serait sûrement furieux de voir que j’ai sorti la toile du sac, et c’est vrai que ce n’est pas très prudent. Mais c’est plus fort que moi, je meurs d’envie de savoir ce que c’est!

Je commence la lecture en chuchotant:

 

« L’an 16…  M…

J’étais depuis un an Grand Amiral de cette république maritime qui fourmillait de commerçants juifs et européens, d’exilés espagnols, de marins, de pirates et de corsaires venus s’enrichir par le commerce des biens et des hommes. Tous parlaient l’espagnol, que j’appris rapidement. J’aimais cet endroit qui avait une âme à part: un repère d’insoumis. Moi aussi je l’étais. »

 

Je m’arrête. Les premiers feuillets sont illisibles et la plupart des mots effacés. Le troisième semble mieux conservé, je reprends la lecture.

« L’An 16.7

Nous rentrions d’une course fort hardie qui nous avait menés jusqu’en mer d’Islande. Ce jour-là, nous débarquâmes dans un hameau et capturâmes des centaines d’âmes que nous irions revendre comme esclaves ou forçats sur les marchés de Salé et d’Alger. Certes la prise était modeste, mais l’écho de cet exploit retentirait dans l’histoire, assurément! L’Islande! Peu de marins pouvaient s’enorgueillir d’une telle expédition! »

 

 

Encore une fois je m’arrête: impossible de déchiffrer les lignes suivantes. Je sors un autre feuillet.

« Morbleu des hommes à la mer! m’écriai-je. Perché sur la poupe de mon navire, je savourais l’heureuse victoire quand j’aperçus quelque dizaine d’hommes se débattre avec rage au milieu de l’océan, essayant désespérément de se cramponner à leur galère brisée qui coulait à grande vitesse. Dans quelques minutes, elle serait engloutie dans les profondeurs, entraînant avec elle les malheureux. Nous les sortîmes de l’eau grelottant de froid et de terreur, épuisés par leur lutte contre l’océan. Ils nous rapportèrent alors un fait très étrange: le bateau d’une femme conduisant des d’hommes les avait pris au piège et dépouillés de tout leur or. Ils racontèrent avec un mélange d’effroi et d’admiration comment elle avait mis à sac leur navire qui portait plus de 1000 tonneaux, des peaux, des tissus, des bijoux, et près de 300 000 pistoles. Au début je n’en crus rien. Quoi? Une gonzesse aurait razzié un tel navire, un tel équipage… un tel butin! Des pirates de surcroît, rodés à la mer et aux attaques! Non, non décidément! »

 

« Ce n’était pourtant pas la première fois que j’entendais parler de cette écumeuse: depuis quelques mois, il se chuchotait entre les brises qu’une femme pillait des navires marchands et de corsaires. On l’appelait Lalla Qarsana. »

Encore elle!

Ma gorge est brûlante, chaque mot renferme tant d’histoire, et elle est là, à la fois mystérieuse et palpable.

Hanane m’écoute, absorbée.

« Piqué, j’ordonnai qu’on suivît cette curieuse expédition. »

Sur un autre feuillet:

« Nous nous retrouvâmes nez à nez, sabre contre sabre, les lames étincelantes. Je restai quelques secondes interdit. Soudain, une douce chaleur, suivie d’une douleur aigüe lacéra ma chair. Elle avait profité du désarroi pour porter un coup de sabre qui avait traversé ma poitrine jusqu’à la joue.  La surprise me fit trébucher. Je me relevai enfin, titubant et ensanglanté, mais la coquine était déjà partie! Elle avait lestement sauté sur son navire et je restai planté là, la regardant filer avec son équipage, un goût âcre dans la bouche, une rage sourde dans le corps, humilié d’être mis en défaite par cette femme enturbanée aux yeux fauves. »

 

« Au diable, la funeste rencontre! J’eus encore préféré qu’elle me tranchât la gorge, que vivre avec cette humiliation. Moi, moi, pillé par une gonzesse! Morbleu! Moi le capitaine, l’armateur, l’amiral, moi le corsaire, moi Mourad Raïs, qui avait pillé la Manche, les mers de Hollande et les ports de Lisbonne, moi la terreur des flots, dont les échos retentissaient jusqu’aux confins du Pacifique, il fallait que je lavasse mon honneur. Je jurai de la retrouver et lui faire payer l’affront. Eh quoi! Cette femme avait saccagé ma galiote, pillé mon butin, pis! elle avait marqué mon corps à vie, et l’humiliation, je devais la porter dans cette profonde cicatrice. »

 

Mourad! Le prénom que j’ai entendu tout à l’heure! Les deux hommes, parlaient-ils de ce Mourad-ci? Ma curiosité est à son faîte.

Là encore le texte est effacé. La lecture devient de plus en plus difficile, les mots couverts d’humidité et de tâches brunes.

Plus loin, sur un autre cahier.

« Je la retrouverais, dussé-je naviguer sur les cieux! »

Avait-il fini par la retrouver? je me demande, rêveur.

– On dirait que c’est écrit à des époques différentes.

– Oui… Zut, tout est effacé. Je n’arrive à déchiffrer que quelques mots, ici et là: Capitaine John, Suleyman Raïs, Grindavik, République, chevalier de Maltes, Le Veneur, Barbaresques, Lanzarote, Moulay Zidân,  La Bonne aventure…

J’interromps la lecture: ici, des pages semblent avoir été arrachées à la hâte!

Vraiment, je ne comprends pas grand-chose à tout cela… Qui est donc ce corsaire, ce Mourad Raïs? Je sors de mon cartable le livre d’histoire: quelle déception! Rien sur le Raïs. Ni sur les corsaires. Curieux, non?

Une voix intérieure continue de me souffler que j’allais au devant de gros ennuis et que je n’aurais jamais du me mêler de cacher cette toile, ni de l’ouvrir, l’autre en revanche, plus forte, était folle de tenir entre les mains ce qui semblait être un vieux manuscrit de corsaire.

Maintenant je n’ai qu’une hâte, revoir le guide et le joueur de guembri. Eux seuls pourront éclairer ces mystères; toutefois nous devions nous montrer patients et attendre: le Mâalem a dit qu’il saurait nous retrouver.

– Quelle heure est-il? Ah déjà 15h!

 

À suivre…

 

 

ET LA SUITE, ON L'ECRIT ENSEMBLE?