Hier matin. Silence dans le taxi. Je n’ai pas l’habitude… d’habitude, ça ergote, ça râle, ça radote, ça rigole. Puis c’est parti:
– Ma fille, je suis taxi depuis 45 ans. Bah, je suis vieux, j’en ai 70 maintenant. Je pourrais écrire des livres sur tout ce que j’ai vécu! Ah si tu savais! »
On passe alors à côté du tribunal de Casa. De temps en temps, il glisse quelques mots en français qui roulent des R tout ronds et guillerets.
– Je travaille souvent du côté du tribunal… Ah que c’est malheureux, ces jeunes qui divorcent au bout de 3 mois et fichent leurs femmes dehors! Pour un oui ou pour un non! Répudier, quel mot horrible! Ma femme à moi, je l’aime. »
Son visage s’éclaire.
– Ma femme, c’est une femme et demi! Pas un homme et demi, non, une femme et demi, c’est nul de dire d’une femme que c’est un homme et demi, et puis ça n’a aucun sens. Nous sommes égaux! Avec mon épouse, on est marié depuis 50 ans. Je l’aime. Je la respecte. Libre, courageuse, travailleuse, je ne l’abandonnerai jamais! Quand je vivais à Paris, soit avant de rentrer au Maroc il y a 45 ans, on allait tous les deux se promener dans les parcs, parfois aux Bois de Boulogne: on regardait passer les vieux couples d’amoureux marcher main dans la main. 90 ans et encore main dans la main! Je te jure, ma fille, ils arrivaient à peine à marcher tellement qu’ils étaient vieux!
Jusqu’à ce que la mort les sépare, disent-il là-bas. Moi aussi, avec ma femme, c’est jusqu’à ce que la mort nous sépare…! »
Ses lèvres, ses yeux, ses joues, son visage sourient. Moi aussi.