Ma Perle – MA COUR DES MIRACLES

J’indique au chauffeur un café en ville.  Enfin chauffard parce vous savez tous comment ils conduisent nos supermen locaux.Il porte un jean usé et une épaisse djellaba marron malgré qu’il fait chaud à crever et qu’il suinte à vomir. L’homme est bavard et  part sur un monologue ahurissant. Ahurissant. D’autant que certaines lettres trébuchent sur les deux seules dents qui lui restent. Et quelles dents sans blague. On devrait inscrire l’hygiène au programme de l’éducation nationale.

«  T’étais mal à l’aise, j’ai vu. J’ai r’marqué ce qui était en train d’se passer j’ai tout vu. Chuis un vieux d’la vielle et j’repère à des mille les emmerdes. T’es une poupée une jolie fille propre tu devrais pas sortir seule à Casa ni marcher dans la rue c’est trop dangereux. Les hommes c’est des sauvages des crades des chiens des fils de pute.  Yzon aucune décence ces Marocains t’auras beau faire pour les éduquer, vain ! c’est de la mauvaise graine. Crois-moi chuis un vieux taxi et j’en ai vu oui ah oui j’en ai vu des choses. T’es jolie j’taime bien alors écout’ mon conseil. Ouvre grand tes oreilles. Te laisse pas endormir par les hommes. Les hommes y veulent qu’une chose c’est vous troncher les femmes. Ton homme, Y te dit qu’il t’aime mais il te baise. Désolé d’êt’ vulgaire mademoiselle mais j’dis la vérité. Tiens, moi par exemple j’ai une femme qui travaille pas s’occupe de la maison des enfants, un bijou d’épouse, mais le jour où je gagne au loto, je la quitte je l’oublie je la chasse je la répudie je la renie. Plus rien à cirer d’elle. Elle et sa marmaille. Oust ! Ce genre de femme c’est juste un compagnon de misère qui accepte une vie minable sans te traiter de minable. Chuis un fils de pute moi j’ai pas peur de le dire même que je le clame haut et fort. On l’est tous. Les hommes n’aiment pas ils désirent. Alors préserve-toi de ces chacals. »

Pendant que je sors la monnaie pour régler la course, il saisit un stylo et note son numéro à l’arrière d’un mouchoir.« Appelle que j’te paie un café tout à l’heure. »Sourire édenté lèvres gercées gencives volcaniques. Merde. Je règle et je file.Je sirote mon thé « En attendant Godot » à la main. Un pur moment quoi. Enfin la paix. C’est dur d’avoir ça ici. Sans blague.

Kahllouk. Le voilà qui pointe son pif et vient squatter ma tranquillité comme ça sans gêne sans fierté rien. Je fais mine de pas l’avoir vu  parce que s’il me chope, finie la paix, fini le pur moment. Il tourne en rond guette s’approche s’éloigne  relève mon livre marmonne le titre prend un air pensif quelques secondes, puis me sert un mouvement de non-je -me-rappelle-pas-l’avoir-lu çuilà. Comme s’il pouvait l’avoir déjà lu, ou avoir lu quoi que ce soit sans blague.Subitement, profitant d’une malheureuse seconde que je lève les yeux il se plante carrément sous mon nez. Malgré moi je lui tends la main en guise de bonjour. Lui se colle à moi pour me claquer deux foutues bises.

Khallouk. C’est le genre de gars à te faire la bise même si tu lui as rien demandé. Même s’il te connaît pas. Le genre de gars quand il s’approche de toi tu sais jamais s’il va te feinter, te lécher la joue ou te fourrer la main au cul.
Un gueux.

J’ai coupé ma respiration et serré les poings, parée à toute éventualité.Il a eu sa bise il croit qu’on est amis maintenant. Il tire la chaise  s’assoit  m’observe  me reluque  regarde en l’air en bas à gauche  il saisit mon sac le soupèse. Ça m’énerve. Sans blague c’est fou. Il se lève et disparaît un moment.


Il est de retour. Il  me fixe l’œil torve. Je veux dire plus torve encore que d’habitude.Et là il me balance une phrase hallucinante. Ce genre de gars a le chic de vous halluciner.
« Je veux ta perle. »Je suis éberluée. Je vois pas d’autre mot. Parfois on voit juste pas d’autre mot.« Comment ? »Je veux être sûre tout de même.« Tu veux me donner ta perle ? » demande-t-il, le regard effectivement rivé sur ma perle.Mi-écoeurée, mi-amusée, je lance tous azimuts :“ Non.”Droit dans les yeux, sec, tranchant et posé.Je fais mine de poursuivre la lecture.“ Tu veux rentrer avec moi, ce soir ? »

Je suis sûre qu’il se croit romantique en disant ça. Un parce qu’il pose une question Deux parce qu’il emploie le mot perle Trois parce qu’il y a tout de même le verbe vouloir.Je réponds pas. Je le laisse moudre et le malaise gangrener. Au fond ça m’éclate. Et franchement qu’est-ce qu’on peut bien répondre à ça sans blague.


Bref pour marquer le coup et rappeler qu’en plus d’être un romantique respectueux de ma volonté il n’est pas oh non il n’est pas un lâche :«  Moi je suis un mec cash. »Tous azimuts : moi aussi je suis une nana cash. C’est non.Un gueux faut surtout pas lui laisser d’espace.

Enfin il se lève et moi aussi. Il a ruiné mon moment, mais je peux pas m’empêcher de penser que je viens d’en vivre un autre. La situation était drôle. Drôle. Oui c’est le bon mot. Parfois, c’est juste le bon mot.

ET LA SUITE, ON L'ECRIT ENSEMBLE?