L’Ouzir – LA COUR DES MIRACLES

Je m’arrête à Derb Ghalef, devant une échoppe et demande au commerçant s’il a un xxxxx:
– Ah non, je n’ai pas ça mais attends, je vais t’envoyer chez un bon gars. L’Ouzir !! tu accompagnes la fille chez Aziz.

Je me retourne. L’Ouzir, c’est un grand bonhomme, la chevelure grise, un jean, des bottes, une chemise rose sous une veste en cuir marron, une casquette et des lunettes de soleil par dessus. Tout en lui a quelque chose de poussiéreux, d’un peu défraîchi, mais tout en lui est fringuant. Il a du être bel homme.
Il bondit de son petit siège en bois et enjambe les bricoles qu’il vend, sur un morceau de carton.

– Viens, suis-moi.

Il me devance l’air assuré et moi, je sais pas pourquoi, je le suis dans les ruelles exiguës, zigzaguant entre la foule, les commerçants, les marchandises, les étals, les égouts, les crevasses et les motos. L’Ouzir, lui, file et de temps en temps, il se retourne, me cherche des yeux, saisit mon regard au vol puis file de nouveau. Sans s’arrêter, il salue les commerçants au passage, parfois il les charrie. Eux s’écrient: Ahhh L’Ouzir !
Il a l’air de connaître l’endroit et ses gens comme sa poche.

– Tu vas voir, je vais t’emmener chez le meilleur ! Avec moi, c’est confiance. Si tu as besoin de quoique ce soit, tu m’appelles. Besoin de louer un appart partout où tu veux, d’un garde du corps, d’un ami… oui oui garde du corps, pourquoi tu souris. Je suis ceinture noire de karaté moi ! Je te jure ! J’ai jamais eu de chance dans ma vie, c’est tout. Et puis, j’ai un peu déconné. Je suis le premier à avoir amené de l’informatique au derb, j’avais une boutique, ça roulait bien… mais je buvais beaucoup beaucoup. J’ai tout perdu. Mais je suis un gars de la débrouille, j’ai jamais manqué de rien. Travail et plaisir, telle est ma devise. J’ai fait plein de trucs pour me démerder et heureusement mes enfants vont à l’école et voyagent. L’été, on va à Oualidia, et je travaille à la plage en vendant des bricoles. Ma vie, c’est 7ejja ou ziara. Dis-moi, tu travailles dans quoi, toi ? Mmmmm je crois que toi, toi enfin, tu es ma chance. Depuis le temps que j’attends ma chance… et voilà que tu arrives. Oui, je sens que tu es ma chance dans la vie, si tu le veux. Je peux être chauffeur, faire du gardiennage, de la plomberie, homme à tout faire, bref, tout ce que tu veux. Et attention, je suis un gars de la vieille, pas ces nouveaux merdeux : moi je sais lire, écrire, compter…. Sois ma chance et fais-moi bosser. Mmmm je te jure, je sens que tu es ma chance. Parce que moi je te jure, j’ai jamais eu de chance.

Bref, on arrive chez ce Aziz, qui a l’air d’un bon gars. Mon guide négocie, m’encense, l’encense, re-négocie comme si c’était lui qui achetait. On conclut l’affaire. Je lui demande de m’indiquer un guichet pour retirer le montant, quand l’Ouzir de nouveau me devance l’air assuré et me lance :
– Viens, suis-moi.

Je le suis. On parcourt de nouvelles allées puis on arrive sur l’avenue. Sur le chemin, Je vois de belles grenades sur un étal.

– Elles sont belles ces grenades !
– Oui ! Tu veux un jus ? Viens, viens, suis-moi.
Sans attendre ma réponse, il avance et s’arrête devant l’étal. Il n’y a personne :
– Il est où notre ami ? On veut un jus de grenade.
– Parti déjeuner, répond un marchand, qui tient l’étal de fruits à côté.
Je lui dis que tant pis, je n’ai pas le temps d’attendre. Une prochaine fois.
– Yak tu as dit que tu voulais un jus ? Alors tu auras un jus ! Je suis l’Ouzir, moi.

L’Ouzir, décidé, se place sur le côté, nettoie un verre qu’il pose sous un pressoir. Il saisit les grenades coupées en 2, prenant soin de me montrer comme il me choisit les plus belles et les presse avec force. Il me tend le jus. Délicieux.

– Et toi ?
– Ah ? Tu m’offres un jus aussi ?
Il presse ses grenades qu’il choisit avec deux fois plus de soin.
On est là à siroter notre breuvage lorsque deux gars s’arrêtent à notre hauteur et demandent le prix du kilo.
– Ah le propriétaire n’est pas là. Nous, on est juste des fdouliene qui avions envie d’un jus.
Tout le monde rit.
Je règle les verres au marchand voisin, lui demandant de remettre les sous à moul l3assir.
Bref. Je suis devant le guichet ; pendant que je retire, l’Ouzir, lui, se tient près de moi, l’air de surveiller autour, le regard menaçant, les bras croisés.
– T’inquiète, tu es avec le meilleur garde du corps du Maroc. Ceinture noire de karaté, oublie pas. Viens, passe par là.

C’est vrai qu’il prend son rôle très au sérieux. Il me pousse dans une galerie sombre, à l’abandon, et moi, je commence à me dire que je suis un peu tarée de suivre cet inconnu et que peut-être, je vais encore me fourrer dans une folle histoire.

– Arrête de tirer cette tête, toi ! Tu viens de retirer de l’argent et tu veux refaire le même chemin en sens inverse. Mais tu es grillée petite ! Tout le monde ici t’a déjà repérée. On passe par là, pour éviter les curieux qui ont repéré ce qu’on faisait. Héhé, faut que tu connaisses les combines ! Faut être éveillée. Moi je suis un vrai Casaoui, né à Casa il y a 56 ans.

– C’est quoi, un casaoui ?

Il répond fièrement :
– Hahaaa ! Un casaoui, c’est un gars qui fait Tacasaouite. Un bidaoui 7orr. Eh oui Il faut connaître Tacasaouite. Les combines. Un casaoui, c’est un gars qui fait tout le temps des combines. C’est dans le sang. Mais attention, avec la parole. Tout ça, avec la parole et l’honneur. On est des bons gars hein. Mais on est des Tacasaouite. Bref regarde où on est déjà arrivé. Tu vois, avec moi, c’est confiance. T’auras plus jamais rien à craindre avec moi.
En effet, on est arrivé directement chez Aziz. Je règle mon achat. L’Ouzir est content que son affaire soit gagnée: il porte mon paquet jusqu’à la voiture, l’air confiant. Je lui tends un billet. Il le regarde un moment, l’air hésitant, sourit subrepticement, puis le fourre dans sa poche. Il marche tête baissée, et petit à petit se forment sur son visage de curieuses expressions, parfois si exagérées que j’en souris. Tantôt un regard de chaton blessé, tantôt celui d’un renard trompé. Il y met tout le pathos qu’il peut. Il hésite un instant, l’air de ne pas trop savoir comment le dire, puis il lance, sur un ton comique:

– Je crois que tu es ma chance. 56 ans que je t’attends… ! Mais…moi, je savais pas que ma chance serait radine.
Regard de chaton blessé, pupilles quémendeuses. Je ris.

– Tu rigoles, tu rigoles. Bon ça va pour cette fois, on va dire que c’est une première collaboration entre nous. Tiens, note mon numéro la prochaine fois, je te fais gratis, je t’assure. Parce que t’es sympa. Maintenant tu es la famille. Moi je fais pas ça pour ça, même si c’est bienvenu. Tu es ma chance. Tu es une brave fille… bon j’espère moins dure en affaire avec moi la prochaine fois… Tout ce dont tu as besoin tu m’appelles. Yak, électricien, coursier, un ami, quelqu’un à qui te confier, tout tout. Je peux tout faire, ou tout trouver. Tout. Ana machi gher Casaoui, ana Tacasaouite.

ET LA SUITE, ON L'ECRIT ENSEMBLE?