– C’est à 18 ans que j’ai entrepris mon voyage. Je voulais découvrir l’ailleurs. J’ai grandi dans l’un des plus grands pays du monde, pourtant je m’y sentais confiné. Tu sais, je dois t’avouer un truc, je haïssais ce pays, son système, ses valeurs, ses gens. Je voulais partir le plus loin possible. Mon périple à commencé, je crois, par une fuite. Je fête bientôt 60 ans. Eh bien! Que le temps passe vite! Ça me fait encore tout drôle d’annoncer ce chiffre, c’est presque terrifiant, je n’ai pas le sentiment de les avoir. 60 ans! Je n’en reviens toujours pas.
Il poursuit:
Il poursuit:
– Quelle sera ma prochaine destination? Je ne sais pas, j’ai fait le tour du monde plusieurs fois, je suis resté quelques jours dans ce pays, quelques semaines dans cette ville, quelques mois dans ce village. J’ai croisé le chemin de tant de personnages, de fous et de sages, de gens ordinaires avec qui j’ai ri, avec qui j’ai appris.
C’est extraordinaire, de pouvoir voyager. Mon prisme a changé. Tu sais, il ne s’agit pas seulement d’ouverture d’esprit, c’est le coeur qui s’épanouit. Il éclot, comme une fleur. Je ne juge plus, je découvre. Je suis curieux, j’essaie de comprendre. Je ne hais plus, j’aime. J’écoute parfois certains débats, ce qui se passe dans le monde et je me dis que ces personnes-là qui pérorent n’ont jamais voyagé, elles portent des oeillères et se repaissent de jugements. De pensées prêtes-à-porter, d’idées grande distrib. Pourtant, j’ai réalisé un autre truc essentiel, il n’y a pas besoin d’aller loin pour voyager, on peut explorer l’univers près de chez soi, autour de soi. En soi. Surtout en soi, d’ailleurs.
Le monde a changé. Les voyages aussi. Maintenant, tu remplis des formulaires incompréhensibles, tu prépares des paperasses interminables, tu demandes des visas, tu quémandes des autorisations, tu mendies des attestations, tu paies des assurances. À l’aéroport, on te déshabille, on te retire ta veste, ta ceinture, ta montre, tes bijoux, tes chaussettes, tes chaussures. Tu es défeuillé, avili. Violé dans ton intimité. On te contrôle tous les 100 mètres, on te demande pourquoi tu voyages, combien de temps, où tu vas, où tu dors, avec qui. On vide ton sac le regard suspicieux, on jette tes crèmes le regard sournois, et toi tu te sens nu, coupable, humilié. On fouille. On renifle. On farfouille. On interroge. On scanne. Tes empreintes. Tes yeux. Ton corps. Tu réalises, des inconnus examinent jusqu’à ton squelette. Il y a quelque chose de terrible dans ce qui se passe dans notre monde. On l’appelle monde libre pourtant. Ironique, non?
Silence. Sourire.
– Je me suis marié 3 fois. J’ai une fille de 16 ans, elle vit avec sa mère en Inde. On a presque 30 ans d’écart, avec ma femme. Je l’ai rencontrée lors d’un voyage, on a fait le tour de l’Inde en moto, pendant un an. C’était extraordinaire. Elle est tombée enceinte pendant notre tournée. On a du s’installer dans sa ville natale. Je ne suis pas resté longtemps, je n’ai pas pu. Je partais, puis revenais, de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps. Jusqu’à ne plus revenir.
On a un enfant né de la mixité et du voyage. Ces enfants-là sont le futur, ils sont plus intelligents, plus empatiques, plus éveillés. Je crois que c’est eux qui vont sauver le monde. Ils sont la solution.
On a un enfant né de la mixité et du voyage. Ces enfants-là sont le futur, ils sont plus intelligents, plus empatiques, plus éveillés. Je crois que c’est eux qui vont sauver le monde. Ils sont la solution.
Elle aussi veut voyager. Ma fille. Elle veut faire comme moi.
Re-sourire.
– Je lui ai répondu que dès qu’elle sera majeure, elle pourra choisir sa vie, faire ce que bon lui semble. Elle veut venir avec moi. Elle en rêve et me tanne à chaque fois, pour que je la laisse arrêter ses études et voyager. Je la comprends, je suis passé par là. Je dois te dire, ça me fait quelque chose au coeur, qu’elle aie cette envie. J’en suis plutôt fier, même si je ne lui dis pas. Elle a 16 ans. 16 ans! Oh la la la, ça grandit vite, si vite!
Son regard se perd au loin.
– Parfois, je me sens seul. C’est nouveau, ce sentiment. Peut-être ai-je trop voyagé? Ces trois derniers mois, j’ai pris 22 fois l’avion. 22 fois! J’ai eu un malaise cardiaque durant le dernier trajet. J’ai consulté un médecin qui m’a conseillé de me reposer. La pression aussi, elle a bousillé mes oreilles, je perds l’équilibre plus facilement maintenant. Plus d’avion pendant quelques semaines, ordre du doc. Il y a un mois, j’ai raté une marche et me suis foulé la cheville droite; hier, j’ai glissé dans une flaque d’eau, hop au tour de la cheville gauche! L’équilibre. Il se perd. On croit qu’on ne vieillira jamais, pourtant… et pourtant je fais du vélo, du yoga, des exercices tous les jours depuis l’adolescence. Mais que veux-tu, on n’y pense pas, à ça, que ça ne peut pas t’arriver, jusqu’au moment où le temps te rattrape, malgré toi.
– Ça me fait quelque chose de dire ça. Je me suis senti subitement seul pendant mon malaise. Personne à appeler. Personne pour m’appeler. Personne pour s’occuper de moi.
Sa voix chevrote.
– Je ne me suis jamais senti si seul. C’est la première fois que je ressens cela.
Ma fille est loin. Ma femme. Bah! ma femme est jeune et seule. Elle ne voyage plus. Elle ne m’aime plus, je crois. Je la comprends. Moi j’ai besoin de partir, toujours. Je suis de partout et de nulle part. Je ne sais même plus si tous ces voyages ont encore du sens, parfois, je m’interroge. Mais il m’est impossible de rester quelque part, de m’installer. Ce mot m’horrifie! J’ai essayé et puis, au bout de quelques temps, je décampe. Je comprends que ma femme ne m’aime plus, que les autres m’aient quitté.
Il se tait un long moment, plongé dans ses réflexions.
– J’ai sillonné le monde en vélo, à moto, en avion, en bateau, en pagode, à pied, en âne, en charrette, en pousse-pousse… Ma mère me dit que je devrais écrire un livre sur tout cela, les voyages, les rencontres, les gens, les aventures, les mésaventures. J’aimerais bien, je crois. D’ailleurs, j’ai plusieurs écrits, récits de voyage, mais… je trouve que cela a quelque chose de pédant, de les publier. Elle m’encourage à le faire, mais je ne pense pas que je le ferai. Ça me gêne, cette idée de raconter ma vie à tous ces inconnus. Comme si elle était intéressante.
Ma fille est loin. Ma femme. Bah! ma femme est jeune et seule. Elle ne voyage plus. Elle ne m’aime plus, je crois. Je la comprends. Moi j’ai besoin de partir, toujours. Je suis de partout et de nulle part. Je ne sais même plus si tous ces voyages ont encore du sens, parfois, je m’interroge. Mais il m’est impossible de rester quelque part, de m’installer. Ce mot m’horrifie! J’ai essayé et puis, au bout de quelques temps, je décampe. Je comprends que ma femme ne m’aime plus, que les autres m’aient quitté.
Il se tait un long moment, plongé dans ses réflexions.
– J’ai sillonné le monde en vélo, à moto, en avion, en bateau, en pagode, à pied, en âne, en charrette, en pousse-pousse… Ma mère me dit que je devrais écrire un livre sur tout cela, les voyages, les rencontres, les gens, les aventures, les mésaventures. J’aimerais bien, je crois. D’ailleurs, j’ai plusieurs écrits, récits de voyage, mais… je trouve que cela a quelque chose de pédant, de les publier. Elle m’encourage à le faire, mais je ne pense pas que je le ferai. Ça me gêne, cette idée de raconter ma vie à tous ces inconnus. Comme si elle était intéressante.
Son visage se crispe:
– Je n’ai pas vu ma mère depuis plus de 10 ans. Elle a 88 ans, elle vit encore au pays. C’était son anniversaire hier. Je l’ai appelée, elle est malade.
Il esquisse un petit sourire:
– Pourtant, elle a toujours eu une santé de fer. Ma mère. 88 ans, elle conduit encore, figure-toi! Parfois je pense à elle et je me sens coupable. Je sens qu’elle a vraiment vieilli et qu’elle n’en a plus pour très longtemps. C’est bientôt la fin. Je l’ai senti hier, au téléphone. Ça m’a fait quelque-chose. Peut-être va-t-elle mourir seule, sans que je la revoie jamais. La dernière fois que je l’ai vue, c’était il y a 16 ans. Déjà, 16 ans! Je crois qu’elle me manque.
Un long silence.
– Parfois, je m’interroge. Ces voyages ont-il encore un sens? Quelle est ma prochaine destination? Je ne sais pas. Je dois rester ici encore quelques semaines, le médecin était intraitable là-dessus. Ensuite?
Son regard est absent.
– Ensuite? Je ne sais pas. Je ne sais plus, même plus où j’ai envie d’aller.
– Parfois, je m’interroge. Ces voyages ont-il encore un sens? Quelle est ma prochaine destination? Je ne sais pas. Je dois rester ici encore quelques semaines, le médecin était intraitable là-dessus. Ensuite?
Son regard est absent.
– Ensuite? Je ne sais pas. Je ne sais plus, même plus où j’ai envie d’aller.
– Je te dis ça et ma gorge se noue. Pourquoi je te raconte ça, petite? Je n’ai pas l’habitude de m’épancher. Je t’ai vue assise, seule, le regard souriant, le visage rayonnant et ça m’a donné envie de te parler. Peut-être ai-je besoin de parler, et tu dégages quelque chose qui donne envie de se confier. Ça fait un bien fou.
Le voyageur se baisse lentement, et avec attention, il noue les lacets de ses chaussures de marche, enfile son sac à dos, rajuste sa casquette, me salue et puis s’en va.