Je grimpe dans le taxi. L’homme est brun, la peau et les lèvres bleuies par la cigarette, sa moustache noire frisotte, sa voix rocaille, ses yeux rient. Sa voix a ce ce timbre particulier des joyeux fêtards de la nuit qui roulent des r aux rondeurs chevaleresques. Bref, je suis à l’aise et de bonne humeur.
– Range ton téléphone mademoiselle. Tu ne dois plus parler au téléphone dans la rue. La rue a changé, les gens aussi. On peut t’agresser à tout instant. Tiens, la semaine dernière, une jeune fille sur le boulevard d’Anfa! Il était 18h, un connard étranglait la fille avec une main, en train d’arracher son sac de l’autre: en face de cafés, d’hôtels…! Moi j’ai vu la scène et hop! j’ai donné un coup de volant et je me suis arrêté pile devant lui: je lui ai dit, qu’est-ce que tu fais à ma femme? Hop! Instant de surprise, le voleur est surpris, et la jeune femme se précipite à l’intérieur du taxi, à moitié évanouie, des traces de doigts encore sur son cou. Bref, moi je fonce et quand elle reprend ses esprits, elle appelle son père au téléphone. Elle s’évanouit, je m’arrête sur le bas côté, je récupère son téléphone et rassure le père. Bref, elle se réveille enfin, elle pleure un coup, puis elle ouvre son sac et me montre un paquet de billets. 4000 Dh. Je la ramène enfin chez son père, ils tombent dans les bras l’un de l’autre. Le père insiste pour me donner de l’argent. Des gens riches, ça se voit. Mais non, je ne peux pas accepter ça. Je l’ai fait parce qu’il le fallait,, on n’est pas toujours obligés de payer pour tout. Tu sais, tant que je serai là, je ne laisserai pas faire ça. J’ai tiré plein de nanas de galères, ah la! si tu savais, depuis 20 ans que je travaille taxi. Je dis toujours que c’est ma soeur ou ma femme, parce qu’il y a que ça qui peut marcher, sinon le gars il s’en fout, il va continuer à l’agresser et moi je peux pas laisser faire ça. Parfois je re-croise certaines de ces filles et elles me prennent dans leur bras ou me paient un verre. Enfin voilà mademoiselle, vous êtes arrivée!