Il est 6h30. J’attends désespérément un taxi depuis une demi-heure mais tous me rabrouent. Soudain, surgi de nulle part, un taxi: il me regarde, me dépasse, freine, recule, me re-regarde puis, d’un brusque coup de manivelle, baisse sa vitre et me lance:
– Bon, tu fais pitié. Tu vas où?
– À xxx
Il fronce les sourcils.
– Wa nari. 3el sba7. 7ram 3lik. Je me dirigeais tranquillement vers la corniche, j’allais me poser sur le sable au bord de la mer, un thé et un joint à la main. Bref, je t’en veux, mais monte. Allah y sme7 lik. J’ai pas le coeur à te laisser là.
J’ouvre la portière quand brusquement il m’arrête net:
– D’abord, avant de monter et m’emmerde pas à dire non, stp. ’Toute façon, t’as pas le choix. Je t’accompagne mais je fume mon joint pendant le trajet et je m’arrête prendre un thé en chemin.
Je monte.
Le gars est jeune, 35 ans, l’air rigolard et sympathique. Pendant qu’il déballe son discours, ses mains ne sont plus sur le volant, ce dernier étant savamment dirigé par son coude et maîtrisé par ses genoux. Il effrite, roule, allume sans qu’à aucun moment ses mains ne touchent le volant.
– Tu sais, je me suis levé ce matin pour aller travailler. J’ai roulé quelques minutes et j’ai senti ce beau soleil, je me suis dit: à quoi bon aller travailler ce matin? Il fait si beau! Puis je t’ai croisée et tu as tout fichu en l’air. Mais bon, même un peu fou, je crois que j’ai bon coeur et je pouvais pas te laisser galérer si tôt le matin. Je te jure que ça aurait pas été le matin et une rue dangereuse, je me serais jamais arrêté. Ou tguoul C’est mon taxi, alors je fais ce que je veux, et si je veux travailler, j’y vais, si je veux pas, je fais ce que je veux. C’est comme ça la vie, la mienne de vie. Après tout, pourquoi vit-on? Yak?
Bref, le gars fume son pétard, bavarde, rit et sa bonne humeur est contagieuse. Il me dépose au boulot. Je monte les escaliers, un peu étourdie par ces effluves et cette rencontre matinales, et moi je me dis, quelle folle histoire, encore.