Le Médecin de Famille – LA COUR DES MIRACLES

Ce matin. Je traîne mes pattes jusqu’à cet immeuble vieux et vétuste: de toutes mes forces, avec le poignet, avec le bras, avec l’épaule, moi je pousse la grosse porte en métal, massive et pesante, qui veut bien, lentement, lourdement, dans un grincement agonisant, bouger de quelques iota. Vite, je me faufile vite à travers une mince ouverture – maigre victoire -, vite, vite! avant que le monstre de porte s’écrase sur moi.

Maintenant, c’est un escalier en colimaçon, terrifiant, qui m’accueille avec un sourire de toutes ses dents. Sans blague, 5 étages de tentacules interminables et serpentines qui  m’enserrent dans leur bras, et ici, chaque mouvement résonne, et les échos de mes pas, de mon souffle, comme des balles, tambourinent entre les murs les plafonds le sol… Oui, ici, dans cet immeuble, tu peux suivre avec précision chaque mouvements de ton écho.

Bref. Je sonne. Une sonnerie à te crever les tympans.

Un vieux bonhomme en blouse blanche ouvre grand la porte. Il sourit large, me prend dans ses bras, il me tapote la tête, les épaules, les cheveux, et enfin, il m’invite à rentrer.

Je le suis. Pendant qu’on traverse le long couloir, il me pose un tas de questions: comment va le papa, la maman, la famille, les soeurs, les oncles, les tantes etc etc. Et je te jure, lui, il connaît chaque nom, les liens de famille, les dernières maladies… et lui, s’enquiert de chacun, avec chaleur, avec intérêt.

Dans la salle d’auscultation, un grand bureau, et partout, des livres, encyclopédies, thèses, diplômes, dessins d’enfants, objets d’anatomies, posters, échantillons, à la fois en vrac, mais soigneusement rangés.

Le médecin de famille s’installe sur son large fauteuil en cuir marron, derrière son immense bureau en bois de chêne verni,  et il se plonge dans le dossier, cale son dos confortablement, en prenant tout son temps.

Il sort un petit carton, parmi un milliers de petits cartons méticuleusement classés par ordre alphabétique, pur chef d’oeuvre d’une secrétaire obsessionnelle, et en extirpe une petite fiche cartonnée blanche à petits carreaux, à peine écornée, où l’on peut lire des inscriptions soigneusement inscrites, au stylos rouge, noir, et bleu. Rouge pour la date, noir pour le titre, bleu pour les commentaires.

Il sort ses lunettes et les chausse sur la pointe de son gros nez: dans un mouvement,  il avance le front, lève le menton, baisse les yeux et lit:

– Ahlem B.
Mmmmm.

Sans bouger sa position d’un pouce, il passe ses yeux de la fiche à moi, de moi à la fiche.

– Ta première visite… Le 8 septembre 1992!

Il lâche la date, solennel, prenant soin d’articuler chaque chiffre, comme s’il annonçait une date incontournable dans l’Histoire.

– Tu es venue jeune fille…
pour une allergie!

Il réfléchit, puis dans un sourire pensif, nostalgique, dans un sourire paternel:
– Tu avait 8 ans!

Il poursuit

– Et le 20 aout 1993…

Ahaaaa!

Pour un rhume!

Puis l’air de rien, le médecin sort une cigarette, l’allume et lui, fait défiler les dates et les maladies, clope au bec, tirant de profondes bouffées. Parfois, il la repose, et l’oublie, allongée seule sur le cendrier, la laissant se consumer dans une fumée épaisse,  tant il est absorbé par ce récit d’histoire.

Moi je dois vous dire. Je suis sur le cul, et tout sourire. 

– Alors dis moi, qu’est-ce qui t’amène?

Pendant que lui fais la liste de mes maux, il écoute, absorbé, les yeux au ciel, sur le côté, tout en hochant très légèrement la tête parfois. Puis il revient sur terre, écrase sa cigarette et m’invite à le suivre:

– Viens, suis-moi, on va jeter un coup d’oeil à tout ça.

Il m’ausculte, me tâte, me fait tousser, souffler, inspirer, expirer, tirer la langue, loucher des yeux et des tas de trucs.

Bref.  La consultation est finie, je me rhabille et m’apprête à partir.

– Alors qu’est-ce que tu fais maintenant?

– Je suis écrivain.

– Oh!! Formidable!

De nouveau, il me prend dans ses bras, tout en tapotant ma tête, mes épaules, mon dos. Puis, en  ébouriffant mes cheveux:

– Ah lala! Je suis fier de mes petits!

Puis, avant de refermer la porte:

– Et passe le bonjour à ton papa, ta maman, tes soeurs, ton oncle X, ta tante Y, ton nouveau petit cousin Z, etc etc.

Enfin, il referme la porte, et moi, je te jure, juste après ce moment, je me sens déjà mieux.

ET LA SUITE, ON L'ECRIT ENSEMBLE?