Nous allons bientôt embarquer. Une foule se presse devant le comptoir, et plutôt qu’une longue rangée ordonnée, c’est un amas d’hommes, de femmes, d’enfants et de bagages en vrac, devant les hôtesses déjà exaspérées. Sans blague, personne fait la queue, mais fait bien semblant de la faire.
Il y a des couples, des amis, des familles, des voyageurs d’affaires, des voyageurs, des solitaires.
J’entends soudain la voix stridente d’une fillette de 5 ou 6 ans.
– Mamannnn! Regarde ce qui fait Diego. Diego arrêêêêête! Tu vois maman, il n’arrête pas de se lever pour voir les avions. Tu n’as pas le droit Diego, ajoute la cafteuse.
Diego. Diego a un regard d’ange. Il a 2 ans, peut-être, un petit être auréolé de cheveux blonds, une peau laiteuse rehaussée de joues rosies par le froid, et de grands yeux gris. Tout de suite, je suis surprise. Le contraste avec le reste de la famille est flagrant. Sa famille est brune, cheveux noirs et clairement typée marocaine.
Je pense d’abord qu’ils voyagent avec un neveu ou le fils de leurs amis. Puis j’entends:
– Papa!
Décidément, je suis intriguée.
– Diego arrêeeete!
– Diego! Kenza, tu as vu comme il est idiot Diego!
– Hahaha Othmane! Diego L’idiot!
Le frère et la soeur l’embêtent ouvertement, tandis que le petit, le regard tantôt triste, tantôt fasciné , passe ses yeux des garnements cafteurs aux avions stationnés.
– Avion! Avion! chante Diego à tue-tête.
Bref.
Dans l’avion, on installe Diego dans le siège à ma droite. Moi, je suis contre le hublot.
Il me regarde et me sourit. Je suis touchée par son regard. Tout son visage s’illumine pendant qu’il regarde et répète avion, en essayant de coller sa main contre le hublot, comme s’il pouvait ainsi toucher les avions au-dehors.
– Diego ça suffit, assieds-toi! gronde le père.
Pendant ce temps, le frère et la sœur chahutent. La mère leur sourit et parfois chahute avec eux, les excitant davantage.
Diego a un regard triste, si triste maintenant.
L’avion va bientôt décoller. Mon voisin a les yeux fermés et semble réciter des prières. Je le regarde et le déteste. À quoi sert tout ça si c’est pour traiter si mal un enfant. Puis tout de suite, je m’en veux de juger. Au fond, que sais-je de leur histoire, à ces gens-là?
On a décollé. Le père ne me parle pas, ne me regarde pas. Il ne m’a adressée la parole qu’une fois, les yeux regardant ailleurs et la tête légèrement baissée, pour marmonner un vague merci.
– Papa je peux venir à côté de toi. On joue sur la tablette ?
– D’accord Othmane.
Ils déplacent Diego dans l’autre rangée, et l’installent côté hublot. Diego est comblé. Il colle son nez et ses deux mains contre la vitre et rapidement, un rond de buée se dessine. De temps en temps, la femme l’oblige à s’assoir.
Une anomalie génétique ? Une adoption ? Un neveu recueilli ? L’enfant d’une autre femme ? Quel est ton secret, Diego ?
À côté de moi, le fils joue avec le père avec la tablette. Le père est aux petits soins. La mère de son côté, avec la fille, est aux petits soins. Diego, lui, plaqué contre le hublot, fait bande à part. Le contraste est flagrant. douloureux.
Bref, le jeune fils demande à se rassoir à côté de sa sœur. Diego est de nouveau près de moi. Il me gratifie d’un beau regard et un innocent sourire.
– Quel âge as-tu ?
Il lève la paume, replie trois doigts, et essaie de garder l’index et le majeur droit.
– 2 ans !
Diego. Ses yeux s’écarquillent, ils sont si émerveillés que tout son être rayonne d’une aura lumineuse. Il me désigne les nuages avec son index et fait mine de vouloir retirer sa ceinture. Il a l’air de me demander de lui céder ma place. Il veut voir à travers le hublot. Son père lui lance un regard noir et il s’arrête net, pétrifié. Ses oreilles se rabattent, ses épaules s’affaissent et son regard, soudain, s’éteint. Diego aime rire.
Diego demande à son père la tablette, il veut jouer. De temps en temps, le petit le réclame en lui touchant l’épaule. Son père ne lui répond pas ou ne fait pas attention.
N’osant plus déranger le père, l’enfant me tend la tablette. Je lui ferme de temps en temps les pub qui dérangent son jeu, sans bruit, de peur d’éveiller le père, jetant des regards inquiets par -dessus l’épaule. Par moments, tous les deux, on rit en silence. Quand le père ouvre l’oeil et nous trouve tout sourire, il toise Diego et lui intime de se calmer. C’est qu’il n’en peut plus, de cet agité!
Diego baisse les yeux, baisse la tête , les oreilles rouges de colère et d’injustice. Puis il les relève et me lance de nouveau ce regard. Qui cherche de l’attention, un sourire, un peu de tendresse.
Enfin, on atterrit. Diego, nos chemins vont se séparer et je ne sais pas comment exprimer ces sentiments confus qui m’agitent, ni toute celle lumière qu’il a répandue en moi.
Déjà, les passagers se pressent alors que le pilote les prie encore de se rassoir. Diego a disparu entre les jambes des passagers, mais personne ne le cherche. Il est entrainé vers la sortie par la foule pressée et indifférente.
Je le vois depuis mon siège, Diego, l’air émerveillé et en même temps inquiet, cherchant des yeux ses parents depuis ses petits centimètres. Enfin, ils arrivent à l’atteindre.
– Tu vois Diego, il est parti tout seul, il arrête pas les bêtises. Diego l’idiooooot! Persifle la petite sournoise. On aurait du t’abandonner ici!
Lui, son visage se défait. Littéralement. Soudain la mère se baisse et prend Diego dans ses bras. Un geste d’amour et le voilà de nouveau transformé en auréole.
Moi, de la voir le prendre ainsi dans ses bras, avec une soudaine tendresse, ça me rassure un peu.
Nos chemins se séparent. On se jette un dernier regard, un dernier au revoir bourré d’innocence, de complicité silencieuse,et de cette lumière que seul un enfant sait insuffler aux coeurs.