Je suis dans le taxi. À l’avant, une femme. Son regard est enjoué, son embonpoint sahraoui, son sourire doux et rassurant. Elle me raconte :
– Mon mari souffre d’un cancer de (7achak) ses bourses depuis plusieurs années. Des années à payer des analyses, des médecins, de la chimio, des opérations, des années sans qu’il puisse même se lever du lit, le malheureux. Il a du arrêter de travailler et c’est moi qui ai pris en charge sa maladie et toute la famille. J’ai 3 enfants, une fille merveilleuse de 17 ans, elle va encore à l’école (privée !), 2 garçons, ils ont leur bac mais ne trouvent pas de travail… Cela fait 3 ans, 3ans !! – qu’ils cherchent, ils sont désespérés et j’ai peur qu’ils tournent mal. Tu verrais comme ils sont beaux, mes enfants ! Ils ne méritent pas de galérer ! Et je les ai tellement protégés, pour qu’ils ne se soucient de rien, qu’ils ne seront sûrement même pas capables de galérer ! J’ai travaillé jour et nuit, dans des maisons, passant de l’une à l’autre, à faire le ménage, la cuisine. Je travaille pour que tout le monde ait tout.
Regarde mes mains, regarde dans quel état elles sont. Regarde comme j’ai maigri, j’étais tellement grosse avant – je suis une sahraouia, ne l’oublie pas -, que je ne pouvais passer une porte et aujourd’hui je flotte dans mes vêtements. Mon mari me dit que j’aurais du le quitter il y a longtemps vu cette vie que je mène, et moi je lui réponds: non ! je ne te quitterai pas, je ne te lasserai jamais tomber, quand on s’est marié, on s’est promis de ne jamais se trahir. Les hommes peuvent trahir les femmes, mais les femmes ne trahissent pas leur homme, surtout pas dans la maladie. Tu sais, c’est un bon gars, et je l’aime sincèrement. Lui aussi, je crois. Sa dernière opération, il y a 2 semaines, a été un succès, il est enfin guéri, alors il réapprend à vivre, à marcher. Il n’a pas le droit de travailler mais il insiste pour m’aider, même un peu, alors je le laisse faire.
Il y a quelques jours, au lieu de déjeuner, j’ai gardé les sous et suis allée au souk, à Hay Hassani, j’ai acheté un pantalon et un pull « d’occasion » pour lui faire plaisir et qu’il soit bien habillé en sortant. Je lui glisse toujours l’argent du taxi dans sa poche, sans qu’il me voie, pour ne pas heurter sa sensibilité, et je le supplie: si tu te sens mal, ne réfléchis pas, prends un taxi!
J’ai travaillé de maisons en maisons, parfois sans même qu’il ne le sache, parce qu’il souffrait en silence de me voir travailler autant, d’être aussi impuissant. Le seul moment où je ne travaille pas, c’est le dimanche, de 6h à 8h. Je me réveille à 6h du matin pour aller au Hammam et être de retour avant 8h, pour pétrir le pain et profiter d’un petit-déjeuner avec la famille, avant d’aller de nouveau travailler dans une maison.
Tu sais (sourire gêné), tu sais on n’a pas (7achak) fait… l’amour depuis 2 ans, et il y a quelques jours… 7achak (large sourire coquin).